Mary Carmine - Fire on Ice (et langue bien pendue)

Mary Carmine

Physique

Dans ces orbes qui observaient notre entourage d'un air mature, je me rappelle m'être fiée plus d'une fois à cette couleur carmine qui avait toujours semblé plus brillante et plus naturelle que la mienne. Moins sauvage, mais pas moins calme. Une différence fort bien accueillie. Je t'ai connu Lili, et les projecteurs qui déployaient leurs bras lumineux sur notre terrain conquis faisaient autant scintiller de milliers d'étoiles la surface de la glace que la lumière tapie là, dans tes yeux distraits.

De nombreuses fois, il m'est arrivé de m'observer à travers nous, par toi qui avait pour habitude d'arborer ce visage si délicat. Je ne sais plus si la vision que j'avais de moi est encore d'actualité, mais à cette époque, j'avais l'impression de mieux me connaître. D'être moins imprévisible que je ne le suis. Je me rappelle de tes cheveux si disciplinés, attachés chichement en une queue de cheval, ceux-là même qui faisaient opposition aux miens, courts et parfois fous. Aux quelques mèches aussi rebelle de caractère que la patineuse en elle-même.

C'est marrant, de trouver déjà une première contradiction là où on aurait pu être un miroir et une personne à nous deux, un reflet de l'un et de l'autre sur une plaque de glace. Il y a une chose en revanche, une seule mais tout aussi importante, qui faisait de toi et moi les héritières du givre des Etats-Unis. On n'était pas bien grande, mais on était unis, et surtout, nous avons été forgés pour être patineurs. De mes muscles féminins mais rondement bien dessinées, à ces épaules frêles en apparence qui revêtaient pourtant le secret de nos sauts multiples, j'étais tout comme toi presque nées pour cela. Presque.

Aujourd'hui, pour ce programme court où je prends la relève, je suis habillée d'une couleur qui te sied certainement bien mieux. Un violet profond, presque philosophique, d'où ces quelques faux diamants faisant appel au loin, comme un appel lumineux éclairant dans des ténèbres bien trop denses pour s'y aventurer. Pour cet instant oui, je délaisserai brièvement la couleur de Mary pour ce rouge carmin, et je deviendrai toi. Mais attention seulement pour ce programme.

Ma jumelle, il est fort probable qu'on t'ait oublié. Moi, ça me parait difficile.

Caractère

Un regard timide et écarlate, carmin, et puis un sourire cynique et parfaitement honnête derrière. Ce jeu de masques, c'était un peu moi, dans mes premières années. Mais alors, juste un peu. Il me semble l'avoir déjà dit, non? Que je n'étais pas une personne de faux semblant? Ô, ça fait depuis plusieurs années que j'ai cessé ce genre de fantaisie.

Et je ne mens pas. Et c'est peut-être mon défaut, cette honnêteté que je donne et que je souhaite parfois trop en retour. Parce que les gens préfèrent se bercer d'illusions, de faux semblants, de rêves mielleux. Tentez donc de me contredire, mais c'est une question qui revient bien souvent: pourquoi s'encombrer à potentiellement blesser la personne par un aveu? Le cap, il se franchit avec bien du courage dans nos débuts. Alors lorsque vient le moment des vérités, on attend, on l'apprend, et on en chiale. A cause de l'attente, à cause de la fausse résolution, à cause de l'échec, à cause de tout cela. Alors parfois, je l'avoue, je suis susceptible. Il n'y a rien de plus détestable que le bureau des pleurs à long terme, et les gens qui y vont par quatre chemins.

Je suis aussi vive langue que je n'apprécie cette qualité chez une autre personne. Une critique? Mais allez-y donc dès maintenant; je m'en offusquerai pas.

Dans la vie, il faut prendre l'initiative. La croquer à pleines dents, comme on dit.

Parce que la vie, elle tourne. Elle échange les places de chacun, et je n'en suis pas une exception. Alors oui, de la douceur à la spontanéité, j'ai passé le cap de la timidité sur scène. C'est peut-être en cela que les journalistes me font parfois rire, à défaut de m'agacer.

Et j'aurai pas dit le contraire non plus, je l'ai pris..."Plutôt gentiment". Ce n'est pas tous les jours qu'on réussit à faire un sans faute, avec l'assurance qui va avec. Alors, ça peut passer du "she's on fire!" au "Elle tombe et elle se relève sans une ombre de douleur, pour valser encore et encore!"

...Heh, s'ils avaient sû à quel point mon Ego avait mal lors de ces moments de déréliction...La fierté aura toujours su prendre une place très importante pour moi. Tout comme la volonté.

Et aussi froid qu'il puisse paraître, le monde du patinage est très loin d'être un univers introverti. Il faut se battre pour garder cette pureté qu'on tend à perdre par esprit de compétition. C'est peut-être ça, la plus grande noblesse quand on valse sur le fil tracé par nos lames. Moi? Je l'ai peut-être un peu perdue, et ce depuis un moment....Je ne sais pas.

Enfin, chacun est ce qu'il veut être, à ce qu'on dit. Ouais. Enfin...Oui. Bon. Vous voyez peut-être où mon doute veut en venir? Non? Eh bien, laissez moi vous conter tout cela.

Il n'y a pas à être déçu. De toute façon, le patinage est aux Russes ce que la pizza est aux Italiens.

Histoire

Introduction:

Tournoyant sur moi-même, mes ongles semblaient lacérer, par-delà ces gants noirs, le voile glacé et intangible qui barrait ma route. Je sentis mes fines lèvres s’ourler davantage, à mesure que la musique battait progressivement son plein. Là, enfin j'effectuais ultimement en cette saison l'expression de mon art et de mon travail.

Et quelle expression.

Ce jour-ci, je n’étais plus de cette douceur du Memento Mori au programme court, qui faisait écho au précédent Lili des blizzards.

Non, comme cette mélopée intense et quelque peu agressive, j’étais devenue ce fantôme sanglant. Bloody Mary.

Coupée du fil de mes pensées, j’entendais au loin les respirations saccadées par cette compétitivité qui m’animait soudainement, par ces sauts périlleux que je devinais envoûtants et charmeurs, un brin effrayant pour ma propre santé. Triple flip, triple salchow et je passais enfiler les pas en repensant à cette colère formatée qu’on avait fait naître en moi. Il suffisait de tendre l’oreille à ces acclamations venues briser le silence, pour savoir que j’accomplissais la volonté de mon entraineur, Frédéric. Et ça m’agaçait, tout comme cela alimentait les échos de ce programme.

Parce que je détestais Frédéric. Et que j’en étais tout à la fois incapable. Très sincèrement.

Et je pressentais la glace comme l’un de ces miroirs capables de refléter ce nouveau « ça ». Un bon nombre de minutes s’était écoulé au moment où je regardais le sol, pour continuer à tourner, encore et encore. Me baisser, prendre l’extrémité de mon pied tout en tendant la jambe parallèlement à la couche épaisse du sol glacial qui me faisaient tenir ces tours.

Oui, c’était cela, ce nouveau moi dont je percevais une essence inédite prendre le pas sur mes regrets.

C'était là où l’hésitation n’avait jamais existé dans mon monde, pas plus que je n’avais laissé l’une de mes concurrentes me marcher sur les pieds. Ni Gabriela, ni moi-même. Habituellement, je ne suis pas une artiste de la musique, misant davantage sur mes techniques. Mais au thème de ce fantôme enfermé et condamné à errer dans la réflexion d'un miroir, à cet instant de vaste plénitude qui emplissait chaque fibre de mon patinage, je m’étais permise ce soupir. Ce simple souffle. Cette expiration qui, une fois entremêlée à cette brise animant la salle assombrie mais bien vivante, me lança sur la voie d’un enchaînement plus frénétique et plus enchanteur encore.

Et là, j’ai su qui j’étais. Pas la sœur du Lili Noir, aujourd’hui pourfendue de la fatalité d’un arrêt simple. Pas une simple patineuse qui n’avait que pour but d’être l’une de ces nombreuses divas de la glace. Non, je ne fais pas partie de ces princesses tant espérées. Je n’ai pas leur silence sur glace, leur grâce dans leur danse.

Quitte à me voir rejeter…Ma jambe se tend, mon corps se prépare à ce salto arrière et à cette réception. Et je l’accomplissais, par cette foule qui me rendait cet unique amour sous cette tenue vermillon. Enfin, je pouvais effleurer du bout des doigts cette saveur que j'avais tant voulu atteindre. Pour la dernière fois.

Moi, je suis Mary Carmine.

Premier chapitre: Des cheminements fragmentés.